Marafa Hamidou Yaya |
Hamidou Yaya Marafa estime que ce mécanisme
anti-corruption a été « dévoyé et servi de machine de guerre politique au
régime de Paul Biya », comme il l’explique dans cette interview exclusive que
nous avons réussi à mener malgré sa détention à la prison centrale de Yaoundé.
Régulièrement, l’ancien secrétaire général de la
présidence de la république camerounaise publie des lettres ouvertes à
caractère politique largement relayées par la presse privée camerounaise.
Slate Afrique - Le
verdict remonte au samedi 22 septembre dernier. Vous avez été condamné à 25 ans
de prison pour un délit que vous avez toujours nié avoir commis. Dans quel état
d'esprit êtes-vous?
Hamidou Yaya Marafa - D’abord,
je me sens serein et la conscience tranquille. Je sais que je suis innocent,
mais le tribunal le sait aussi et l’a reconnu. Lisez le verdict, vous n'y
trouverez aucune trace de détournement de fonds ou de recel. Aucune tâche sur
mon honneur et ma probité.
Ensuite, et surtout, je reste déterminé à mener
le combat. Pas un combat personnel entre deux individus qui seraient l'actuel
Chef de l'Etat et moi.
Non, la lutte, décisive, est pour que la justice
reste ou redevienne garante de notre liberté à tous et ne soit plus mise à la
botte du régime actuel.
Il en va de l'avenir de notre pays. Je reçois de
mes compatriotes, un soutien qui se renforce depuis ma condamnation.
L’espoir qu’ils placent en moi me donne la force
et soustrait du temps immobile de la prison. Je suis tourné vers les
changements qui doivent et qui vont advenir.
SlateAfrique - Mais si personne,
pas même le tribunal, ne vous croit coupable, pour quoi avez-vous été condamné?
H.M-Tout ce qu’il a trouvé pour
me condamner est un fait de complicité "intellectuelle". Pour cela,
il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au
moment des faits.
J’assume cette amitié transformée en charge, mais
elle ne rend coupable d’aucun crime ni délit.
SlateAfrique
- On vous soupçonne de vous être enrichi illégalement au pouvoir. Etes-vous un
homme riche?
H.M- Par rapport à la moyenne de
nos compatriotes, oui. Je suis un homme riche puisque mes revenus sont
supérieurs à mes dépenses. Je ne mène aucune vie ostentatoire. Une attitude qui
s’impose à toute ma famille. Nos dépenses sont conformes à nos besoins. Je
déplore que ce ne soit malheureusement pas le cas de beaucoup de Camerounais.
Par rapport à mes camarades qui ont choisi le
privé, comparaison que j’ai eu évidemment souvent l’occasion de faire,
clairement non. Et c’est bien ainsi.
Mon patrimoine est connu. Je l’ai acquis, et il
est aisé de le vérifier, en ayant essentiellement recours à des prêts
bancaires, que j’ai remboursés grâce à mon traitement de ministre et à mes
jetons de présence comme président du conseil d'administration de sociétés
publiques.
SlateAfrique -
Revenons sur l'affaire de l'avion présidentiel « l’affaire albatros ». Vous ne
vous reconnaissez donc aucune responsabilité dans ce dossier?
H.M- Non, aucune. J’ai déjà dit
que le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation. Permettez-moi
d’être plus détaillé, et de vous dire quelles ont été ses réponses aux
questions essentielles suivantes: ai-je pris l'initiative de commander cet
avion? Non. Ai-je pris la décision, ou ai-je été informé préalablement de la
décision, de virer 31 millions de dollars à la société retenue au lieu
d'émettre une lettre de crédit comme c'était prévu ? Non.
Ai-je pris l'initiative ou ai-je décidé de
commander un autre avion que celui initialement prévu? Non. Ai-je participé de
près ou de loin à l'accord par lequel l'État du Cameroun et le vendeur se sont
entendus pour solder cette affaire, et par lequel les deux parties renonçaient
à toutes poursuites ultérieures? Non.
Enfin, y a-t-il trace d'une somme d'argent que
j'aurais reçue dans le cadre de ce dossier? Non.
Vous voulez mesurer à quel point les accusations
portées contre moi sont grotesques ? Un mois à peine après ma condamnation, mon
successeur au Secrétariat Général à la Présidence de la République, a été
condamné, et pourquoi? Pour avoir tenté de détourner ces mêmes 31 millions de
dollars qui sont censés déjà avoir été dérobés!
SlateAfrique -
En voulez-vous aux juges ou aux puissants qui vous ont succédé?
H.M- Je ne peux pas en vouloir
aux magistrats. Les juges étaient sous la pression du régime, ils ont cédé.
Comment exiger d’eux un courage dont nous-mêmes, nous ne faisons pas toujours
preuve ?
Quant aux autres, ni pardon ni blâme. Chacun est
libre de se déshonorer mais doit en porter la responsabilité. Un proverbe dit :
« Le sot ne pardonne rien et n'oublie rien, le naïf oublie et pardonne, le sage
pardonne, mais n'oublie pas.» Je fais le choix de la sagesse.
SlateAfrique
-Vous dites « sage », c’est- à-dire dépassionné, mais à la sortie du tribunal
vous vous êtes déclaré :" déçu, mais pas vaincu". N’était-ce pas du
ressentiment?
H.M- Nullement ! Je me souviens
de ce spectacle pathétique donné par le principal témoin de l'accusation, un
ancien ministre des finances, transpirant de peur, car il avait pour
instruction de m’accabler et que, malgré ses efforts pour tordre la vérité, il
ne pouvait que me disculper des principales charges contre moi.
D’ailleurs, cette condamnation n'est pas une
défaite pour moi, mais l’échec d’une volonté du pouvoir de me mettre à mort
politiquement. Ils en sont réduits à des expédients pour assurer leur fragile
survie politique. La peur est de leur côté. Pas du mien.
Je n’exagère pas en disant que moralement,
émotionnellement et intellectuellement, je suis en pleine forme. Ne donnez
aucun crédit aux ragots qui me disent déprimé et suicidaire.
SlateAfrique
- Craignez-vous pour votre vie?
H.M- Je ne suis pas craintif de
nature, mes lettres ouvertes l'ont démontré. Cependant, je sais que ma vie est
menacée. Depuis 5 ans certains ont programmé mon élimination physique immédiate
en cas de vacance du pouvoir. D'autres demandent ma déportation à la prison de
Yoko, ce qui vaut aussi condamnation à mort, mais à petit feu.
SlateAfrique - Depuis 5 ans, dites-vous. À quoi correspond
cette date ? Qui sont ces gens qui vous en veulent à ce point?
H.M- La date correspond au
lendemain des élections législatives de 2007. À ce moment, certains hommes
politiques ont commencé à se projeter, légitimement, dans l'après-Biya.
D’autres, tapis dans l'ombre, les ont vus comme des adversaires dangereux. Je
les inquiétais particulièrement. Il fallait se débarrasser de moi.
« Vous voulez savoir ce que vos ennemis ont à se
reprocher ? Voyez de quoi ils vous accusent pour vous salir, » dit le proverbe.
Dans un premier temps, ces campagnes n'ont
affecté en rien la confiance que me témoignait le Chef de l'Etat. Mes
accusateurs de l’ombre ont inventé alors, une variété de scenarios absurdes:
j'avais levé une force armée prête à fondre sur la capitale, ou par ambition
personnelle j'avais décidé de me présenter contre le Président en 2011, ou
j'étais le pion des États-Unis et de la France qui avaient décidé de l'écarter
du pouvoir.
Tout cela veut dire trois choses: d’abord,
évidemment, mon procès est politique. Ensuite, il a commencé dès 2008, au
lendemain de la modification de la constitution ouvrant la voie à une nouvelle
candidature du Président Biya, car il a fallu préparer l'opinion publique à ma
condamnation. Enfin, c’est le jour de mon arrestation, le 16 avril 2012, que le
verdict a véritablement été rendu. Ce qui a suivi n’était que pour la forme.
SlateAfrique -Si vous pressentiez tout cela, pourquoi ne
pas avoir démissionné, voire quitté le pays, avant votre arrestation?
H.M- Certains responsables, à
des niveaux insoupçonnés, m'avaient proposé de me faire quitter le pays.
D’ailleurs, je m'interroge encore sur la sincérité de leur démarche. Mais j'ai
fait le choix de rester car je voulais m'expliquer devant la justice sur cette
affaire complexe qui mettait en cause mon honneur.
SlateAfrique
- Quelles étaient vos relations avec Paul Biya?
H.M- C'est un homme mystérieux.
De mon point de vue, nos relations ont toujours été bonnes : confiantes,
franches, mais limitées à la sphère professionnelle. Il m'a confié de très
importantes responsabilités et fonctions auxquelles je n'ai objectivement
jamais failli.
SlateAfrique
- Comment expliquez-vous son revirement à votre égard?
H.M- Je ne cherche pas
d'explications. Mon regard se porte vers l'avenir, et, dans cette perspective,
je ne pense pas à lui. Ma seule crainte pour mon pays est que le Chef de l'État
ne soit pousser à prendre des décisions de plus en plus mauvaises pour le bien
commun, et mon affaire en est une illustration. Un jour sûrement ils finiront
par se débarrasser de lui.
SlateAfrique -
Vos propos semblent dégager le Président Biya de toute responsabilité
dans la gestion des affaires du pays, et dans la vôtre en particulier. Ce serait
surprenant.
H.M - Non, pas du tout, je ne
l’exonère pas. Seulement, alors que tout le monde s'accorde pour reconnaître en
lui un habile politicien, il pose désormais des actes qui ne lui ressemblent
guère, et qui créent notre pays dans une situation de tension sans précédent
depuis 1984. Il ne semble donc pas avoir les mains libres. Ce qui est déjà une
faute extrêmement grave, il est vrai.
SlateAfrique
- Le Cameroun vient de fêter le trentième anniversaire de
l'accession au pouvoir de Paul Biya. Quel regard portez-vous sur cette période?
H.M - Il vous suffit de lire la
presse locale et internationale pour constater qu'elle est assez unanime pour
parler d'échec.
Pour ma part, je parlerai plutôt d'erreurs: à
chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la
modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de
perturbations inhérents à cette démarche, et l'immobilisme garant, selon lui,
de la paix civile, il a choisi l'immobilisme. C’est ce qui fait que nous avons
aujourd'hui un pays au bord de conflits sociaux et politiques sans précédent.
SlateAfrique
- Que représente aujourd'hui Paul Biya pour le Cameroun et pour vous?
H.M- Paul Biya a été le symbole
d'une transition politique pacifique en 1982. Aujourd'hui, on attend qu'il en
soit le garant.
SlateAfrique -
Que voulez-vous dire? Souhaitez-vous qu'il se démette de ses fonctions comme le
président Ahidjo?
H.M- Libre à lui de le faire.
Mais là n'est pas mon propos. Le monde a changé depuis 1982, il n'appartient
pas au Président de la République de désigner son successeur. En 1982, peu de
gens connaissaient l’actuel Président, mais les Camerounais étaient si heureux
et fiers de cette transition pacifique que tous, moi le premier, lui ont
apporté leur soutien. Aujourd'hui, nous attendons avant tout de lui qu'il mette
en place les institutions politiques qui assureront une succession pacifique et
démocratique lorsqu'il quittera le pouvoir. Or, rien n'est en place, ce qui
expose notre pays à de multiples dangers.
SlateAfrique
- Croyez-vous à un risque de guerre civile dans votre pays, où
les tensions ethniques sont grandes?
H.M - Non, ce risque est faible.
Cependant, certains pompiers pyromanes agitent le spectre d'une guerre
ethnique, comme au Rwanda, tout en créant dans l’ombre une situation propice à
une prise ou un maintien du pouvoir dans les mains d'une même clique. De fait,
ils sont les maux dont ils prétendent être le remède.
Je sais que notre unité nationale est encore
fragile. Depuis la fin de la guerre froide, en Afrique comme ailleurs, on
constate des replis identitaires sur des bases non seulement ethniques, mais
aussi religieuses, linguistiques et culturelles, générationnelles, et selon le
clivage mon rural/monde urbain.
Ces lignes de rupture potentielle peuvent en
effet menacer le pacte républicain, mais cela ne peut en aucun cas justifier
l'immobilisme politique et économique. Au contraire, le meilleur remède contre
le risque de guerre civile, c'est l'initiative et l'action.
Slate Afrique
- Pourtant le gouvernement vient de lancer un programme de grandes
réalisations. N’est ce pas une forme d’action?
H.M- Soyons sérieux un moment.
Qui peut croire à la construction d'une nouvelle raffinerie à Kribi, ou à la
construction d'une voiture « made in Cameroun » en 2013? C’est une politique de
grandes illusions, pas de grandes réalisations. Ces projets sans aucune
pertinence économique ne trouveront pas d'investisseurs, et ils ne servent qu'à
masquer une incapacité à mener à bien les vrais projets importants tels que le
Pont sur le fleuve Wourri. Les populations et les opérateurs économiques
l’attendent depuis plus 20 ans. Que le gouvernement crée déjà les 25 000
emplois jeunes promis par l'actuel chef de l'Etat, qu'il mette fin aux pénuries
d'eau et d'électricité, et il gagnera en crédibilité !
SlateAfrique - Mais, vous avez vous-même exercé de hautes
fonctions au gouvernement. Vous sentez-vous une part de responsabilité dans cet
échec?
H.M - Je vais répondre à votre
question par des questions. Suis-je fier d'avoir sauvé l'organisation des
élections législatives et municipales de 2002 dont l'impréparation nous menait
droit aux émeutes? Suis-je fier d'avoir oeuvré pour une amélioration sensible
du processus électoral vers plus de transparence? Suis-je fier d'avoir amorcé,
en dépit de toutes les entraves et résistances, le processus de
décentralisation indispensable à la modernisation de notre pays? Ai-je avec
insistance attiré l'attention du chef de l'Etat sur la nécessité d'engager des
réformes institutionnelles et économiques? Mais je ne veux pas revenir sur le
passé. Seul importe l'avenir, et pour le construire, mon expérience peut
utilement servir mon pays.
Slate Afrique -
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, remettre votre pays sur le chemin
de la croissance?
H.M- Le projet dont je suis
porteur est fondé sur l’idée d'une société de confiance. Confiance en soi que
la nation doit retrouver, et confiance des citoyens entre eux. Sans cette
confiance, la reconstruction de notre pays sera impossible.
Slate Afrique
- Pourquoi parler de reconstruction? N’est-ce pas excessif?
H.M- Non. Il s'agit de cela et
de rien de moins que cela. Depuis 25 ans, les investissements, exception faite
du secteur des mines et de l'énergie, sont en chute libre. L'accès à l'eau, à
l'électricité, aux soins médicaux est de plus en plus difficile.
L'environnement naturel a dans certaines régions été saccagé, dans d'autres la
pollution augmente dangereusement. Tout cela dans un contexte où la corruption
ne cesse de progresser. Mais le préalable à cette reconstruction, j’insiste sur
cette dimension qui peut sembler abstraite mais qui ne l‘est pas du tout, c'est
que nous retrouvions confiance en nous. Or, aujourd'hui, c'est le règne de la méfiance.
On se méfie du voisin qui n’est pas de son ethnie, on se méfie du douanier, du
policier, de l’inspecteur des impôts, de l'examinateur, du médecin, de la
presse, des résultats des élections, de la presse, de la justice, de l’Etat.
Reconstruire la confiance pour reconstruire le pays, voilà la route que doit
prendre le Cameroun.
SlateAfrique -
Ce projet politique, comment comptez-vous le conduire? Comment envisagez-vous
la suite?
H.M - Nous avons entrepris avec
mes avocats de faire appel du jugement. Nous avons la volonté d'épuiser tous
les recours de droit. Cependant, je ne me laisserai pas enfermer dans la sphère
judiciaire. Elle est secondaire par rapport au combat politique, que je
poursuivrai sans relâche.
SlateAfrique
- Continuerez-vous à publier vos lettres?
H.M - Pensez-vous que je
prendrais une position si forte pour finir par dire, piteusement, à mes
adversaires :"Si vous cessez de dire des mensonges sur moi, eh bien, je
m'abstiendrai de dire la vérité sur vous. »
Je ne crains rien. Même si les coups sont rudes.
Je continuerai à publier mes lettres. Les suivantes sont prêtes. Elles ne
viseront pas à détruire, mais à reconstruire. Chacun des thèmes qu'elles
abordent vise à servir le débat politique.
SlateAfrique
- Comptez-vous sur le soutien la France et des Etats-Unis,
deux pays avec lesquels, dit-on, vous entretenez de bonnes relations? Il semble
que François Hollande n'ait pas évoqué votre cas avec Paul Biya lors de leur
entretien à l'occasion du sommet de la francophonie à Kinshasa.
H.M - Je souhaite ardemment que
ces deux grandes nations accroissent le soutien qu'elles apportent à mon pays.
Le Cameroun a besoin de développer massivement ses infrastructures, d'accroître
ses capacités de production industrielle et agricole, et tout ceci en préservant
son environnement.
Tout cet effort ne peut être supporté par la
seule coopération sino-camerounaise! Les États-Unis, la France, l'Allemagne, le
Japon et bien d'autres pays peuvent développer avec le Cameroun des
partenariats profitables. Y compris sur les droits de l'homme, thème largement
évoqué lors du sommet de la Francophonie organisé à Kinshasa en octobre 2012.
Pour mon cas personnel, je ne demanderai jamais à
une puissance étrangère d’intervenir dans une lutte qui ne peut et ne doit être
menée que de l’intérieur.
Oui à une coopération ouverte bénéfique à notre
pays, non à une pression de l’étranger dans des questions et des processus
intérieurs.
SlateAfrique
- Demandez-vous aux juges d'enquêter sur les récentes
révélations sorties dans la presse camerounaise concernant un éventuel
enrichissement frauduleux de Franck Biya grâce à des opérations sur des
Obligations du Trésor camerounais?
H.M - Je suis consterné par
cette histoire. Je dois dire que rien, dans le souvenir que je garde de
certains protagonistes de cette affaire, ne me permet de penser qu'ils aient pu
commettre cela.
Ce que ces révélations m’évoque, c’est la pensée
de Cicéron : « Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux.
Mais elle ne peut survivre à la trahison venant de l’intérieur. "
L'enjeu de cette affaire justifie en lui-même une
enquête. La vérité sur l’existence ou non d’une trahison de l’intérieur sera
très simple à établir, les Camerounais méritent de la connaitre.
SlateAfrique
- Quelles sont vos conditions de vie en prison?
H.M - Reposez-moi la question
dans 24 ans. Peut-être, alors, me préoccuperai-je de mes conditions de
détention au regard des droits de l'homme. Mais d'ici là, je me battrai non pas
sur les conditions, mais sur le principe même de ma détention.
Se préoccuper de mes conditions de détention,
sans se poser la question du fondement même de mon incarcération, ceci au nom
de la force de la chose jugée, de la soi-disant « complexité de l'affaire », ou
encore du « pas de fumée sans feu », c'est une façon de se donner bonne
conscience, et de se laver les mains de cette affaire qui engage, au-delà de
moi, l'avenir de mon pays. Le premier des droits de l'homme, c'est le droit à
une justice équitable, c'est la liberté pour l'innocent, et non pas le droit à
une cellule confortable!
Propos recueillis par Assane Diop
Entretien exclusif avec Hamidou Yaya Marafa,
ancien ministre de l’Intérieur et ex-secrétaire général de la Présidence
Camerounaise, condamné le 22 septembre 2012 à 25 ans de prison ferme pour complicité
de détournement de fonds destiné à l’achat d’un avion présidentiel.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
De nombreux Camerounais sont sceptiques quant aux chances de succès de ce défi, présenté par Paul Biya comme une « marche de longue haleine vers la prospérité » mais assimilé par ses adversaires à « une course contre la montre ».
Paul Biya a récemment fêté ses 30 ans d’exercice continu du pouvoir et célèbrera en février prochain son 80e anniversaire. Quel bilan, ou au moins, quel inventaire rapide tirer de « l’ère Biya » ? Le pouvoir serait bien en peine de vanter ses « grandes réalisations » puisqu’il en est encore au stade des « grandes ambitions ». Il insiste donc sur l’efficacité de son action pour assurer la « stabilité » du pays. Il est vrai qu’en dehors, de la tentative de coup d’état du 6 avril 1984 et des émeutes qui ont secoué Douala en mars et avril 1991, puis en 2008, il n’y a pas eu de secousses majeures. Mais sur le front économique et social, le pays s’est davantage enlisé que stabilisé, et a fortiori redressé.
Mais ces alertes ont traumatisé durablement le
pouvoir, le poussant de plus en plus à se refermer et à ne se préoccuper que de
sa seule survie. Cette logique, dont la suppression en 2007 de l’article
constitutionnel fixant à deux le nombre maximum de mandats présidentiels est un
exemple frappant, a eu un coût considérable sur le front économique et social,
marqué par un véritable enlisement, voire une régression.
La longévité au pouvoir n’est ni une bonne ni une
mauvaise chose en soi. Mais, indubitablement, dans le cas de Paul Biya elle se
conjugue avec l’usure, l’immobilisme et la hantise du complot.
Sur la scène politique camerounaise, « parler
d’alternance revient presque à proférer un tabou, à afficher une rivalité ou à
passer pour un dangereux subversif » déplore sous le sceau de l’anonymat un
journaliste pourtant proche du RDPC, le parti présidentiel.
Les nombreux « détenus politiques » de la prison
centrale de Yaoundé peuvent en témoigner. Après avoir appartenu aux plus hautes
sphères du pouvoir, ils ont connu une chute brutale, conséquence dans la
majorité des cas, non de fautes ou manquements avérés, mais de « rivalités
chroniques dans le premier cercle des collaborateurs officieux ou officiels du
chef d’Etat ».
« Ces personnes ne sont visées par aucun
règlement de comptes politiques. Elles ont été arrêtées, jugées et condamnées
pour des crimes économiques », s’est toujours défendu le pouvoir. Il est vrai
qu’en 2004 la lutte contre la corruption a été érigée en programme national
baptisé « opération Epervier » sous la pression des bailleurs de fonds du
Cameroun, qui figurait parmi les pays les plus corrompus du monde ».
Hamidou Yaya Marafa estime que ce mécanisme
anti-corruption a été « dévoyé et servi de machine de guerre politique au
régime de Paul Biya », comme il l’explique dans cette interview exclusive que
nous avons réussi à mener malgré sa détention à la prison centrale de Yaoundé.
Régulièrement, l’ancien secrétaire général de la
présidence de la république camerounaise publie des lettres ouvertes à
caractère politique largement relayées par la presse privée camerounaise.
Slate Afrique - Le
verdict remonte au samedi 22 septembre dernier. Vous avez été condamné à 25 ans
de prison pour un délit que vous avez toujours nié avoir commis. Dans quel état
d'esprit êtes-vous?
Hamidou Yaya Marafa - D’abord,
je me sens serein et la conscience tranquille. Je sais que je suis innocent,
mais le tribunal le sait aussi et l’a reconnu. Lisez le verdict, vous n'y
trouverez aucune trace de détournement de fonds ou de recel. Aucune tâche sur
mon honneur et ma probité.
Ensuite, et surtout, je reste déterminé à mener
le combat. Pas un combat personnel entre deux individus qui seraient l'actuel
Chef de l'Etat et moi.
Non, la lutte, décisive, est pour que la justice
reste ou redevienne garante de notre liberté à tous et ne soit plus mise à la
botte du régime actuel.
Il en va de l'avenir de notre pays. Je reçois de
mes compatriotes, un soutien qui se renforce depuis ma condamnation.
L’espoir qu’ils placent en moi me donne la force
et soustrait du temps immobile de la prison. Je suis tourné vers les
changements qui doivent et qui vont advenir.
SlateAfrique - Mais si personne,
pas même le tribunal, ne vous croit coupable, pour quoi avez-vous été condamné?
H.M-Tout ce qu’il a trouvé pour
me condamner est un fait de complicité "intellectuelle". Pour cela,
il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au
moment des faits.
J’assume cette amitié transformée en charge, mais
elle ne rend coupable d’aucun crime ni délit.
SlateAfrique
- On vous soupçonne de vous être enrichi illégalement au pouvoir. Etes-vous un
homme riche?
H.M- Par rapport à la moyenne de
nos compatriotes, oui. Je suis un homme riche puisque mes revenus sont
supérieurs à mes dépenses. Je ne mène aucune vie ostentatoire. Une attitude qui
s’impose à toute ma famille. Nos dépenses sont conformes à nos besoins. Je
déplore que ce ne soit malheureusement pas le cas de beaucoup de Camerounais.
Par rapport à mes camarades qui ont choisi le
privé, comparaison que j’ai eu évidemment souvent l’occasion de faire,
clairement non. Et c’est bien ainsi.
Mon patrimoine est connu. Je l’ai acquis, et il
est aisé de le vérifier, en ayant essentiellement recours à des prêts
bancaires, que j’ai remboursés grâce à mon traitement de ministre et à mes
jetons de présence comme président du conseil d'administration de sociétés
publiques.
SlateAfrique -
Revenons sur l'affaire de l'avion présidentiel « l’affaire albatros ». Vous ne
vous reconnaissez donc aucune responsabilité dans ce dossier?
H.M- Non, aucune. J’ai déjà dit
que le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation. Permettez-moi
d’être plus détaillé, et de vous dire quelles ont été ses réponses aux
questions essentielles suivantes: ai-je pris l'initiative de commander cet
avion? Non. Ai-je pris la décision, ou ai-je été informé préalablement de la
décision, de virer 31 millions de dollars à la société retenue au lieu
d'émettre une lettre de crédit comme c'était prévu ? Non.
Ai-je pris l'initiative ou ai-je décidé de
commander un autre avion que celui initialement prévu? Non. Ai-je participé de
près ou de loin à l'accord par lequel l'État du Cameroun et le vendeur se sont
entendus pour solder cette affaire, et par lequel les deux parties renonçaient
à toutes poursuites ultérieures? Non.
Enfin, y a-t-il trace d'une somme d'argent que
j'aurais reçue dans le cadre de ce dossier? Non.
Vous voulez mesurer à quel point les accusations
portées contre moi sont grotesques ? Un mois à peine après ma condamnation, mon
successeur au Secrétariat Général à la Présidence de la République, a été
condamné, et pourquoi? Pour avoir tenté de détourner ces mêmes 31 millions de
dollars qui sont censés déjà avoir été dérobés!
SlateAfrique -
En voulez-vous aux juges ou aux puissants qui vous ont succédé?
H.M- Je ne peux pas en vouloir
aux magistrats. Les juges étaient sous la pression du régime, ils ont cédé.
Comment exiger d’eux un courage dont nous-mêmes, nous ne faisons pas toujours
preuve ?
Quant aux autres, ni pardon ni blâme. Chacun est
libre de se déshonorer mais doit en porter la responsabilité. Un proverbe dit :
« Le sot ne pardonne rien et n'oublie rien, le naïf oublie et pardonne, le sage
pardonne, mais n'oublie pas.» Je fais le choix de la sagesse.
SlateAfrique
-Vous dites « sage », c’est- à-dire dépassionné, mais à la sortie du tribunal
vous vous êtes déclaré :" déçu, mais pas vaincu". N’était-ce pas du
ressentiment?
H.M- Nullement ! Je me souviens
de ce spectacle pathétique donné par le principal témoin de l'accusation, un
ancien ministre des finances, transpirant de peur, car il avait pour
instruction de m’accabler et que, malgré ses efforts pour tordre la vérité, il
ne pouvait que me disculper des principales charges contre moi.
D’ailleurs, cette condamnation n'est pas une
défaite pour moi, mais l’échec d’une volonté du pouvoir de me mettre à mort
politiquement. Ils en sont réduits à des expédients pour assurer leur fragile
survie politique. La peur est de leur côté. Pas du mien.
Je n’exagère pas en disant que moralement,
émotionnellement et intellectuellement, je suis en pleine forme. Ne donnez
aucun crédit aux ragots qui me disent déprimé et suicidaire.
SlateAfrique
- Craignez-vous pour votre vie?
H.M- Je ne suis pas craintif de
nature, mes lettres ouvertes l'ont démontré. Cependant, je sais que ma vie est
menacée. Depuis 5 ans certains ont programmé mon élimination physique immédiate
en cas de vacance du pouvoir. D'autres demandent ma déportation à la prison de
Yoko, ce qui vaut aussi condamnation à mort, mais à petit feu.
SlateAfrique - Depuis 5 ans, dites-vous. À quoi correspond
cette date ? Qui sont ces gens qui vous en veulent à ce point?
H.M- La date correspond au
lendemain des élections législatives de 2007. À ce moment, certains hommes
politiques ont commencé à se projeter, légitimement, dans l'après-Biya.
D’autres, tapis dans l'ombre, les ont vus comme des adversaires dangereux. Je
les inquiétais particulièrement. Il fallait se débarrasser de moi.
« Vous voulez savoir ce que vos ennemis ont à se
reprocher ? Voyez de quoi ils vous accusent pour vous salir, » dit le proverbe.
Dans un premier temps, ces campagnes n'ont
affecté en rien la confiance que me témoignait le Chef de l'Etat. Mes
accusateurs de l’ombre ont inventé alors, une variété de scenarios absurdes:
j'avais levé une force armée prête à fondre sur la capitale, ou par ambition
personnelle j'avais décidé de me présenter contre le Président en 2011, ou
j'étais le pion des États-Unis et de la France qui avaient décidé de l'écarter
du pouvoir.
Tout cela veut dire trois choses: d’abord,
évidemment, mon procès est politique. Ensuite, il a commencé dès 2008, au
lendemain de la modification de la constitution ouvrant la voie à une nouvelle
candidature du Président Biya, car il a fallu préparer l'opinion publique à ma
condamnation. Enfin, c’est le jour de mon arrestation, le 16 avril 2012, que le
verdict a véritablement été rendu. Ce qui a suivi n’était que pour la forme.
SlateAfrique -Si vous pressentiez tout cela, pourquoi ne
pas avoir démissionné, voire quitté le pays, avant votre arrestation?
H.M- Certains responsables, à
des niveaux insoupçonnés, m'avaient proposé de me faire quitter le pays.
D’ailleurs, je m'interroge encore sur la sincérité de leur démarche. Mais j'ai
fait le choix de rester car je voulais m'expliquer devant la justice sur cette
affaire complexe qui mettait en cause mon honneur.
SlateAfrique
- Quelles étaient vos relations avec Paul Biya?
H.M- C'est un homme mystérieux.
De mon point de vue, nos relations ont toujours été bonnes : confiantes,
franches, mais limitées à la sphère professionnelle. Il m'a confié de très
importantes responsabilités et fonctions auxquelles je n'ai objectivement
jamais failli.
SlateAfrique
- Comment expliquez-vous son revirement à votre égard?
H.M- Je ne cherche pas
d'explications. Mon regard se porte vers l'avenir, et, dans cette perspective,
je ne pense pas à lui. Ma seule crainte pour mon pays est que le Chef de l'État
ne soit pousser à prendre des décisions de plus en plus mauvaises pour le bien
commun, et mon affaire en est une illustration. Un jour sûrement ils finiront
par se débarrasser de lui.
SlateAfrique -
Vos propos semblent dégager le Président Biya de toute responsabilité
dans la gestion des affaires du pays, et dans la vôtre en particulier. Ce
serait surprenant.
H.M - Non, pas du tout, je ne
l’exonère pas. Seulement, alors que tout le monde s'accorde pour reconnaître en
lui un habile politicien, il pose désormais des actes qui ne lui ressemblent
guère, et qui créent notre pays dans une situation de tension sans précédent
depuis 1984. Il ne semble donc pas avoir les mains libres. Ce qui est déjà une
faute extrêmement grave, il est vrai.
SlateAfrique
- Le Cameroun vient de fêter le trentième anniversaire de
l'accession au pouvoir de Paul Biya. Quel regard portez-vous sur cette période?
H.M - Il vous suffit de lire la
presse locale et internationale pour constater qu'elle est assez unanime pour
parler d'échec.
Pour ma part, je parlerai plutôt d'erreurs: à
chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la
modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de
perturbations inhérents à cette démarche, et l'immobilisme garant, selon lui,
de la paix civile, il a choisi l'immobilisme. C’est ce qui fait que nous avons
aujourd'hui un pays au bord de conflits sociaux et politiques sans précédent.
SlateAfrique
- Que représente aujourd'hui Paul Biya pour le Cameroun et pour vous?
H.M- Paul Biya a été le symbole
d'une transition politique pacifique en 1982. Aujourd'hui, on attend qu'il en
soit le garant.
SlateAfrique -
Que voulez-vous dire? Souhaitez-vous qu'il se démette de ses fonctions comme le
président Ahidjo?
H.M- Libre à lui de le faire.
Mais là n'est pas mon propos. Le monde a changé depuis 1982, il n'appartient
pas au Président de la République de désigner son successeur. En 1982, peu de
gens connaissaient l’actuel Président, mais les Camerounais étaient si heureux
et fiers de cette transition pacifique que tous, moi le premier, lui ont apporté
leur soutien. Aujourd'hui, nous attendons avant tout de lui qu'il mette en
place les institutions politiques qui assureront une succession pacifique et
démocratique lorsqu'il quittera le pouvoir. Or, rien n'est en place, ce qui
expose notre pays à de multiples dangers.
SlateAfrique
- Croyez-vous à un risque de guerre civile dans votre pays, où
les tensions ethniques sont grandes?
H.M - Non, ce risque est faible.
Cependant, certains pompiers pyromanes agitent le spectre d'une guerre
ethnique, comme au Rwanda, tout en créant dans l’ombre une situation propice à
une prise ou un maintien du pouvoir dans les mains d'une même clique. De fait,
ils sont les maux dont ils prétendent être le remède.
Je sais que notre unité nationale est encore
fragile. Depuis la fin de la guerre froide, en Afrique comme ailleurs, on
constate des replis identitaires sur des bases non seulement ethniques, mais
aussi religieuses, linguistiques et culturelles, générationnelles, et selon le
clivage mon rural/monde urbain.
Ces lignes de rupture potentielle peuvent en
effet menacer le pacte républicain, mais cela ne peut en aucun cas justifier
l'immobilisme politique et économique. Au contraire, le meilleur remède contre
le risque de guerre civile, c'est l'initiative et l'action.
Slate Afrique
- Pourtant le gouvernement vient de lancer un programme de grandes
réalisations. N’est ce pas une forme d’action?
H.M- Soyons sérieux un moment.
Qui peut croire à la construction d'une nouvelle raffinerie à Kribi, ou à la
construction d'une voiture « made in Cameroun » en 2013? C’est une politique de
grandes illusions, pas de grandes réalisations. Ces projets sans aucune
pertinence économique ne trouveront pas d'investisseurs, et ils ne servent qu'à
masquer une incapacité à mener à bien les vrais projets importants tels que le
Pont sur le fleuve Wourri. Les populations et les opérateurs économiques
l’attendent depuis plus 20 ans. Que le gouvernement crée déjà les 25 000
emplois jeunes promis par l'actuel chef de l'Etat, qu'il mette fin aux pénuries
d'eau et d'électricité, et il gagnera en crédibilité !
SlateAfrique - Mais, vous avez vous-même exercé de hautes
fonctions au gouvernement. Vous sentez-vous une part de responsabilité dans cet
échec?
H.M - Je vais répondre à votre
question par des questions. Suis-je fier d'avoir sauvé l'organisation des
élections législatives et municipales de 2002 dont l'impréparation nous menait
droit aux émeutes? Suis-je fier d'avoir oeuvré pour une amélioration sensible
du processus électoral vers plus de transparence? Suis-je fier d'avoir amorcé,
en dépit de toutes les entraves et résistances, le processus de
décentralisation indispensable à la modernisation de notre pays? Ai-je avec
insistance attiré l'attention du chef de l'Etat sur la nécessité d'engager des
réformes institutionnelles et économiques? Mais je ne veux pas revenir sur le
passé. Seul importe l'avenir, et pour le construire, mon expérience peut
utilement servir mon pays.
Slate Afrique -
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, remettre votre pays sur le chemin
de la croissance?
H.M- Le projet dont je suis
porteur est fondé sur l’idée d'une société de confiance. Confiance en soi que
la nation doit retrouver, et confiance des citoyens entre eux. Sans cette
confiance, la reconstruction de notre pays sera impossible.
Slate Afrique
- Pourquoi parler de reconstruction? N’est-ce pas excessif?
H.M- Non. Il s'agit de cela et
de rien de moins que cela. Depuis 25 ans, les investissements, exception faite
du secteur des mines et de l'énergie, sont en chute libre. L'accès à l'eau, à
l'électricité, aux soins médicaux est de plus en plus difficile.
L'environnement naturel a dans certaines régions été saccagé, dans d'autres la
pollution augmente dangereusement. Tout cela dans un contexte où la corruption
ne cesse de progresser. Mais le préalable à cette reconstruction, j’insiste sur
cette dimension qui peut sembler abstraite mais qui ne l‘est pas du tout, c'est
que nous retrouvions confiance en nous. Or, aujourd'hui, c'est le règne de la
méfiance. On se méfie du voisin qui n’est pas de son ethnie, on se méfie du
douanier, du policier, de l’inspecteur des impôts, de l'examinateur, du
médecin, de la presse, des résultats des élections, de la presse, de la
justice, de l’Etat. Reconstruire la confiance pour reconstruire le pays, voilà
la route que doit prendre le Cameroun.
SlateAfrique -
Ce projet politique, comment comptez-vous le conduire? Comment envisagez-vous
la suite?
H.M - Nous avons entrepris avec
mes avocats de faire appel du jugement. Nous avons la volonté d'épuiser tous les
recours de droit. Cependant, je ne me laisserai pas enfermer dans la sphère
judiciaire. Elle est secondaire par rapport au combat politique, que je
poursuivrai sans relâche.
SlateAfrique
- Continuerez-vous à publier vos lettres?
H.M - Pensez-vous que je
prendrais une position si forte pour finir par dire, piteusement, à mes
adversaires :"Si vous cessez de dire des mensonges sur moi, eh bien, je
m'abstiendrai de dire la vérité sur vous. »
Je ne crains rien. Même si les coups sont rudes.
Je continuerai à publier mes lettres. Les suivantes sont prêtes. Elles ne
viseront pas à détruire, mais à reconstruire. Chacun des thèmes qu'elles
abordent vise à servir le débat politique.
SlateAfrique
- Comptez-vous sur le soutien la France et des Etats-Unis,
deux pays avec lesquels, dit-on, vous entretenez de bonnes relations? Il semble
que François Hollande n'ait pas évoqué votre cas avec Paul Biya lors de leur
entretien à l'occasion du sommet de la francophonie à Kinshasa.
H.M - Je souhaite ardemment que
ces deux grandes nations accroissent le soutien qu'elles apportent à mon pays.
Le Cameroun a besoin de développer massivement ses infrastructures, d'accroître
ses capacités de production industrielle et agricole, et tout ceci en
préservant son environnement.
Tout cet effort ne peut être supporté par la
seule coopération sino-camerounaise! Les États-Unis, la France, l'Allemagne, le
Japon et bien d'autres pays peuvent développer avec le Cameroun des
partenariats profitables. Y compris sur les droits de l'homme, thème largement
évoqué lors du sommet de la Francophonie organisé à Kinshasa en octobre 2012.
Pour mon cas personnel, je ne demanderai jamais à
une puissance étrangère d’intervenir dans une lutte qui ne peut et ne doit être
menée que de l’intérieur.
Oui à une coopération ouverte bénéfique à notre
pays, non à une pression de l’étranger dans des questions et des processus
intérieurs.
SlateAfrique
- Demandez-vous aux juges d'enquêter sur les récentes
révélations sorties dans la presse camerounaise concernant un éventuel
enrichissement frauduleux de Franck Biya grâce à des opérations sur des
Obligations du Trésor camerounais?
H.M - Je suis consterné par
cette histoire. Je dois dire que rien, dans le souvenir que je garde de
certains protagonistes de cette affaire, ne me permet de penser qu'ils aient pu
commettre cela.
Ce que ces révélations m’évoque, c’est la pensée
de Cicéron : « Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux.
Mais elle ne peut survivre à la trahison venant de l’intérieur. "
L'enjeu de cette affaire justifie en lui-même une
enquête. La vérité sur l’existence ou non d’une trahison de l’intérieur sera
très simple à établir, les Camerounais méritent de la connaitre.
SlateAfrique
- Quelles sont vos conditions de vie en prison?
H.M - Reposez-moi la question
dans 24 ans. Peut-être, alors, me préoccuperai-je de mes conditions de
détention au regard des droits de l'homme. Mais d'ici là, je me battrai non pas
sur les conditions, mais sur le principe même de ma détention.
Se préoccuper de mes conditions de détention,
sans se poser la question du fondement même de mon incarcération, ceci au nom
de la force de la chose jugée, de la soi-disant « complexité de l'affaire », ou
encore du « pas de fumée sans feu », c'est une façon de se donner bonne
conscience, et de se laver les mains de cette affaire qui engage, au-delà de
moi, l'avenir de mon pays. Le premier des droits de l'homme, c'est le droit à
une justice équitable, c'est la liberté pour l'innocent, et non pas le droit à
une cellule confortable!
Propos recueillis par Assane Diop
Entretien exclusif avec Hamidou Yaya Marafa,
ancien ministre de l’Intérieur et ex-secrétaire général de la Présidence
Camerounaise, condamné le 22 septembre 2012 à 25 ans de prison ferme pour
complicité de détournement de fonds destiné à l’achat d’un avion présidentiel.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
De nombreux Camerounais sont sceptiques quant aux chances de succès de ce défi, présenté par Paul Biya comme une « marche de longue haleine vers la prospérité » mais assimilé par ses adversaires à « une course contre la montre ».
Paul Biya a récemment fêté ses 30 ans d’exercice continu du pouvoir et célèbrera en février prochain son 80e anniversaire. Quel bilan, ou au moins, quel inventaire rapide tirer de « l’ère Biya » ? Le pouvoir serait bien en peine de vanter ses « grandes réalisations » puisqu’il en est encore au stade des « grandes ambitions ». Il insiste donc sur l’efficacité de son action pour assurer la « stabilité » du pays. Il est vrai qu’en dehors, de la tentative de coup d’état du 6 avril 1984 et des émeutes qui ont secoué Douala en mars et avril 1991, puis en 2008, il n’y a pas eu de secousses majeures. Mais sur le front économique et social, le pays s’est davantage enlisé que stabilisé, et a fortiori redressé.
Mais ces alertes ont traumatisé durablement le
pouvoir, le poussant de plus en plus à se refermer et à ne se préoccuper que de
sa seule survie. Cette logique, dont la suppression en 2007 de l’article
constitutionnel fixant à deux le nombre maximum de mandats présidentiels est un
exemple frappant, a eu un coût considérable sur le front économique et social,
marqué par un véritable enlisement, voire une régression.
La longévité au pouvoir n’est ni une bonne ni une
mauvaise chose en soi. Mais, indubitablement, dans le cas de Paul Biya elle se
conjugue avec l’usure, l’immobilisme et la hantise du complot.
Sur la scène politique camerounaise, « parler
d’alternance revient presque à proférer un tabou, à afficher une rivalité ou à
passer pour un dangereux subversif » déplore sous le sceau de l’anonymat un
journaliste pourtant proche du RDPC, le parti présidentiel.
Les nombreux « détenus politiques » de la prison
centrale de Yaoundé peuvent en témoigner. Après avoir appartenu aux plus hautes
sphères du pouvoir, ils ont connu une chute brutale, conséquence dans la
majorité des cas, non de fautes ou manquements avérés, mais de « rivalités
chroniques dans le premier cercle des collaborateurs officieux ou officiels du
chef d’Etat ».
« Ces personnes ne sont visées par aucun
règlement de comptes politiques. Elles ont été arrêtées, jugées et condamnées
pour des crimes économiques », s’est toujours défendu le pouvoir. Il est vrai
qu’en 2004 la lutte contre la corruption a été érigée en programme national
baptisé « opération Epervier » sous la pression des bailleurs de fonds du
Cameroun, qui figurait parmi les pays les plus corrompus du monde ».
Hamidou Yaya Marafa estime que ce mécanisme
anti-corruption a été « dévoyé et servi de machine de guerre politique au
régime de Paul Biya », comme il l’explique dans cette interview exclusive que
nous avons réussi à mener malgré sa détention à la prison centrale de Yaoundé.
Régulièrement, l’ancien secrétaire général de la
présidence de la république camerounaise publie des lettres ouvertes à
caractère politique largement relayées par la presse privée camerounaise.
Slate Afrique - Le
verdict remonte au samedi 22 septembre dernier. Vous avez été condamné à 25 ans
de prison pour un délit que vous avez toujours nié avoir commis. Dans quel état
d'esprit êtes-vous?
Hamidou Yaya Marafa - D’abord,
je me sens serein et la conscience tranquille. Je sais que je suis innocent,
mais le tribunal le sait aussi et l’a reconnu. Lisez le verdict, vous n'y
trouverez aucune trace de détournement de fonds ou de recel. Aucune tâche sur
mon honneur et ma probité.
Ensuite, et surtout, je reste déterminé à mener
le combat. Pas un combat personnel entre deux individus qui seraient l'actuel
Chef de l'Etat et moi.
Non, la lutte, décisive, est pour que la justice
reste ou redevienne garante de notre liberté à tous et ne soit plus mise à la
botte du régime actuel.
Il en va de l'avenir de notre pays. Je reçois de
mes compatriotes, un soutien qui se renforce depuis ma condamnation.
L’espoir qu’ils placent en moi me donne la force
et soustrait du temps immobile de la prison. Je suis tourné vers les
changements qui doivent et qui vont advenir.
SlateAfrique - Mais si personne,
pas même le tribunal, ne vous croit coupable, pour quoi avez-vous été condamné?
H.M-Tout ce qu’il a trouvé pour
me condamner est un fait de complicité "intellectuelle". Pour cela,
il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au
moment des faits.
J’assume cette amitié transformée en charge, mais
elle ne rend coupable d’aucun crime ni délit.
SlateAfrique
- On vous soupçonne de vous être enrichi illégalement au pouvoir. Etes-vous un
homme riche?
H.M- Par rapport à la moyenne de
nos compatriotes, oui. Je suis un homme riche puisque mes revenus sont
supérieurs à mes dépenses. Je ne mène aucune vie ostentatoire. Une attitude qui
s’impose à toute ma famille. Nos dépenses sont conformes à nos besoins. Je
déplore que ce ne soit malheureusement pas le cas de beaucoup de Camerounais.
Par rapport à mes camarades qui ont choisi le
privé, comparaison que j’ai eu évidemment souvent l’occasion de faire,
clairement non. Et c’est bien ainsi.
Mon patrimoine est connu. Je l’ai acquis, et il
est aisé de le vérifier, en ayant essentiellement recours à des prêts
bancaires, que j’ai remboursés grâce à mon traitement de ministre et à mes
jetons de présence comme président du conseil d'administration de sociétés
publiques.
SlateAfrique -
Revenons sur l'affaire de l'avion présidentiel « l’affaire albatros ». Vous ne
vous reconnaissez donc aucune responsabilité dans ce dossier?
H.M- Non, aucune. J’ai déjà dit
que le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation. Permettez-moi
d’être plus détaillé, et de vous dire quelles ont été ses réponses aux
questions essentielles suivantes: ai-je pris l'initiative de commander cet
avion? Non. Ai-je pris la décision, ou ai-je été informé préalablement de la
décision, de virer 31 millions de dollars à la société retenue au lieu
d'émettre une lettre de crédit comme c'était prévu ? Non.
Ai-je pris l'initiative ou ai-je décidé de commander
un autre avion que celui initialement prévu? Non. Ai-je participé de près ou de
loin à l'accord par lequel l'État du Cameroun et le vendeur se sont entendus
pour solder cette affaire, et par lequel les deux parties renonçaient à toutes
poursuites ultérieures? Non.
Enfin, y a-t-il trace d'une somme d'argent que
j'aurais reçue dans le cadre de ce dossier? Non.
Vous voulez mesurer à quel point les accusations
portées contre moi sont grotesques ? Un mois à peine après ma condamnation, mon
successeur au Secrétariat Général à la Présidence de la République, a été
condamné, et pourquoi? Pour avoir tenté de détourner ces mêmes 31 millions de
dollars qui sont censés déjà avoir été dérobés!
SlateAfrique -
En voulez-vous aux juges ou aux puissants qui vous ont succédé?
H.M- Je ne peux pas en vouloir
aux magistrats. Les juges étaient sous la pression du régime, ils ont cédé.
Comment exiger d’eux un courage dont nous-mêmes, nous ne faisons pas toujours
preuve ?
Quant aux autres, ni pardon ni blâme. Chacun est
libre de se déshonorer mais doit en porter la responsabilité. Un proverbe dit :
« Le sot ne pardonne rien et n'oublie rien, le naïf oublie et pardonne, le sage
pardonne, mais n'oublie pas.» Je fais le choix de la sagesse.
SlateAfrique
-Vous dites « sage », c’est- à-dire dépassionné, mais à la sortie du tribunal
vous vous êtes déclaré :" déçu, mais pas vaincu". N’était-ce pas du
ressentiment?
H.M- Nullement ! Je me souviens
de ce spectacle pathétique donné par le principal témoin de l'accusation, un
ancien ministre des finances, transpirant de peur, car il avait pour
instruction de m’accabler et que, malgré ses efforts pour tordre la vérité, il
ne pouvait que me disculper des principales charges contre moi.
D’ailleurs, cette condamnation n'est pas une
défaite pour moi, mais l’échec d’une volonté du pouvoir de me mettre à mort
politiquement. Ils en sont réduits à des expédients pour assurer leur fragile
survie politique. La peur est de leur côté. Pas du mien.
Je n’exagère pas en disant que moralement,
émotionnellement et intellectuellement, je suis en pleine forme. Ne donnez
aucun crédit aux ragots qui me disent déprimé et suicidaire.
SlateAfrique
- Craignez-vous pour votre vie?
H.M- Je ne suis pas craintif de
nature, mes lettres ouvertes l'ont démontré. Cependant, je sais que ma vie est
menacée. Depuis 5 ans certains ont programmé mon élimination physique immédiate
en cas de vacance du pouvoir. D'autres demandent ma déportation à la prison de
Yoko, ce qui vaut aussi condamnation à mort, mais à petit feu.
SlateAfrique - Depuis 5 ans, dites-vous. À quoi correspond
cette date ? Qui sont ces gens qui vous en veulent à ce point?
H.M- La date correspond au
lendemain des élections législatives de 2007. À ce moment, certains hommes
politiques ont commencé à se projeter, légitimement, dans l'après-Biya.
D’autres, tapis dans l'ombre, les ont vus comme des adversaires dangereux. Je
les inquiétais particulièrement. Il fallait se débarrasser de moi.
« Vous voulez savoir ce que vos ennemis ont à se
reprocher ? Voyez de quoi ils vous accusent pour vous salir, » dit le proverbe.
Dans un premier temps, ces campagnes n'ont
affecté en rien la confiance que me témoignait le Chef de l'Etat. Mes
accusateurs de l’ombre ont inventé alors, une variété de scenarios absurdes:
j'avais levé une force armée prête à fondre sur la capitale, ou par ambition
personnelle j'avais décidé de me présenter contre le Président en 2011, ou
j'étais le pion des États-Unis et de la France qui avaient décidé de l'écarter
du pouvoir.
Tout cela veut dire trois choses: d’abord,
évidemment, mon procès est politique. Ensuite, il a commencé dès 2008, au
lendemain de la modification de la constitution ouvrant la voie à une nouvelle
candidature du Président Biya, car il a fallu préparer l'opinion publique à ma
condamnation. Enfin, c’est le jour de mon arrestation, le 16 avril 2012, que le
verdict a véritablement été rendu. Ce qui a suivi n’était que pour la forme.
SlateAfrique -Si vous pressentiez tout cela, pourquoi ne
pas avoir démissionné, voire quitté le pays, avant votre arrestation?
H.M- Certains responsables, à
des niveaux insoupçonnés, m'avaient proposé de me faire quitter le pays.
D’ailleurs, je m'interroge encore sur la sincérité de leur démarche. Mais j'ai
fait le choix de rester car je voulais m'expliquer devant la justice sur cette
affaire complexe qui mettait en cause mon honneur.
SlateAfrique
- Quelles étaient vos relations avec Paul Biya?
H.M- C'est un homme mystérieux.
De mon point de vue, nos relations ont toujours été bonnes : confiantes, franches,
mais limitées à la sphère professionnelle. Il m'a confié de très importantes
responsabilités et fonctions auxquelles je n'ai objectivement jamais failli.
SlateAfrique
- Comment expliquez-vous son revirement à votre égard?
H.M- Je ne cherche pas d'explications.
Mon regard se porte vers l'avenir, et, dans cette perspective, je ne pense pas
à lui. Ma seule crainte pour mon pays est que le Chef de l'État ne soit pousser
à prendre des décisions de plus en plus mauvaises pour le bien commun, et mon
affaire en est une illustration. Un jour sûrement ils finiront par se
débarrasser de lui.
SlateAfrique -
Vos propos semblent dégager le Président Biya de toute responsabilité
dans la gestion des affaires du pays, et dans la vôtre en particulier. Ce
serait surprenant.
H.M - Non, pas du tout, je ne
l’exonère pas. Seulement, alors que tout le monde s'accorde pour reconnaître en
lui un habile politicien, il pose désormais des actes qui ne lui ressemblent
guère, et qui créent notre pays dans une situation de tension sans précédent
depuis 1984. Il ne semble donc pas avoir les mains libres. Ce qui est déjà une
faute extrêmement grave, il est vrai.
SlateAfrique
- Le Cameroun vient de fêter le trentième anniversaire de
l'accession au pouvoir de Paul Biya. Quel regard portez-vous sur cette période?
H.M - Il vous suffit de lire la
presse locale et internationale pour constater qu'elle est assez unanime pour
parler d'échec.
Pour ma part, je parlerai plutôt d'erreurs: à
chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la
modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de
perturbations inhérents à cette démarche, et l'immobilisme garant, selon lui,
de la paix civile, il a choisi l'immobilisme. C’est ce qui fait que nous avons
aujourd'hui un pays au bord de conflits sociaux et politiques sans précédent.
SlateAfrique
- Que représente aujourd'hui Paul Biya pour le Cameroun et pour vous?
H.M- Paul Biya a été le symbole
d'une transition politique pacifique en 1982. Aujourd'hui, on attend qu'il en
soit le garant.
SlateAfrique -
Que voulez-vous dire? Souhaitez-vous qu'il se démette de ses fonctions comme le
président Ahidjo?
H.M- Libre à lui de le faire.
Mais là n'est pas mon propos. Le monde a changé depuis 1982, il n'appartient
pas au Président de la République de désigner son successeur. En 1982, peu de
gens connaissaient l’actuel Président, mais les Camerounais étaient si heureux
et fiers de cette transition pacifique que tous, moi le premier, lui ont
apporté leur soutien. Aujourd'hui, nous attendons avant tout de lui qu'il mette
en place les institutions politiques qui assureront une succession pacifique et
démocratique lorsqu'il quittera le pouvoir. Or, rien n'est en place, ce qui
expose notre pays à de multiples dangers.
SlateAfrique
- Croyez-vous à un risque de guerre civile dans votre pays, où
les tensions ethniques sont grandes?
H.M - Non, ce risque est faible.
Cependant, certains pompiers pyromanes agitent le spectre d'une guerre
ethnique, comme au Rwanda, tout en créant dans l’ombre une situation propice à
une prise ou un maintien du pouvoir dans les mains d'une même clique. De fait,
ils sont les maux dont ils prétendent être le remède.
Je sais que notre unité nationale est encore
fragile. Depuis la fin de la guerre froide, en Afrique comme ailleurs, on
constate des replis identitaires sur des bases non seulement ethniques, mais
aussi religieuses, linguistiques et culturelles, générationnelles, et selon le
clivage mon rural/monde urbain.
Ces lignes de rupture potentielle peuvent en
effet menacer le pacte républicain, mais cela ne peut en aucun cas justifier
l'immobilisme politique et économique. Au contraire, le meilleur remède contre
le risque de guerre civile, c'est l'initiative et l'action.
Slate Afrique
- Pourtant le gouvernement vient de lancer un programme de grandes
réalisations. N’est ce pas une forme d’action?
H.M- Soyons sérieux un moment.
Qui peut croire à la construction d'une nouvelle raffinerie à Kribi, ou à la
construction d'une voiture « made in Cameroun » en 2013? C’est une politique de
grandes illusions, pas de grandes réalisations. Ces projets sans aucune
pertinence économique ne trouveront pas d'investisseurs, et ils ne servent qu'à
masquer une incapacité à mener à bien les vrais projets importants tels que le
Pont sur le fleuve Wourri. Les populations et les opérateurs économiques
l’attendent depuis plus 20 ans. Que le gouvernement crée déjà les 25 000
emplois jeunes promis par l'actuel chef de l'Etat, qu'il mette fin aux pénuries
d'eau et d'électricité, et il gagnera en crédibilité !
SlateAfrique - Mais, vous avez vous-même exercé de hautes
fonctions au gouvernement. Vous sentez-vous une part de responsabilité dans cet
échec?
H.M - Je vais répondre à votre
question par des questions. Suis-je fier d'avoir sauvé l'organisation des
élections législatives et municipales de 2002 dont l'impréparation nous menait
droit aux émeutes? Suis-je fier d'avoir oeuvré pour une amélioration sensible
du processus électoral vers plus de transparence? Suis-je fier d'avoir amorcé,
en dépit de toutes les entraves et résistances, le processus de
décentralisation indispensable à la modernisation de notre pays? Ai-je avec
insistance attiré l'attention du chef de l'Etat sur la nécessité d'engager des
réformes institutionnelles et économiques? Mais je ne veux pas revenir sur le
passé. Seul importe l'avenir, et pour le construire, mon expérience peut
utilement servir mon pays.
Slate Afrique -
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, remettre votre pays sur le chemin
de la croissance?
H.M- Le projet dont je suis
porteur est fondé sur l’idée d'une société de confiance. Confiance en soi que
la nation doit retrouver, et confiance des citoyens entre eux. Sans cette
confiance, la reconstruction de notre pays sera impossible.
Slate Afrique
- Pourquoi parler de reconstruction? N’est-ce pas excessif?
H.M- Non. Il s'agit de cela et
de rien de moins que cela. Depuis 25 ans, les investissements, exception faite
du secteur des mines et de l'énergie, sont en chute libre. L'accès à l'eau, à
l'électricité, aux soins médicaux est de plus en plus difficile.
L'environnement naturel a dans certaines régions été saccagé, dans d'autres la
pollution augmente dangereusement. Tout cela dans un contexte où la corruption
ne cesse de progresser. Mais le préalable à cette reconstruction, j’insiste sur
cette dimension qui peut sembler abstraite mais qui ne l‘est pas du tout, c'est
que nous retrouvions confiance en nous. Or, aujourd'hui, c'est le règne de la méfiance.
On se méfie du voisin qui n’est pas de son ethnie, on se méfie du douanier, du
policier, de l’inspecteur des impôts, de l'examinateur, du médecin, de la
presse, des résultats des élections, de la presse, de la justice, de l’Etat.
Reconstruire la confiance pour reconstruire le pays, voilà la route que doit
prendre le Cameroun.
SlateAfrique -
Ce projet politique, comment comptez-vous le conduire? Comment envisagez-vous
la suite?
H.M - Nous avons entrepris avec
mes avocats de faire appel du jugement. Nous avons la volonté d'épuiser tous
les recours de droit. Cependant, je ne me laisserai pas enfermer dans la sphère
judiciaire. Elle est secondaire par rapport au combat politique, que je
poursuivrai sans relâche.
SlateAfrique
- Continuerez-vous à publier vos lettres?
H.M - Pensez-vous que je
prendrais une position si forte pour finir par dire, piteusement, à mes
adversaires :"Si vous cessez de dire des mensonges sur moi, eh bien, je
m'abstiendrai de dire la vérité sur vous. »
Je ne crains rien. Même si les coups sont rudes.
Je continuerai à publier mes lettres. Les suivantes sont prêtes. Elles ne
viseront pas à détruire, mais à reconstruire. Chacun des thèmes qu'elles
abordent vise à servir le débat politique.
SlateAfrique
- Comptez-vous sur le soutien la France et des Etats-Unis,
deux pays avec lesquels, dit-on, vous entretenez de bonnes relations? Il semble
que François Hollande n'ait pas évoqué votre cas avec Paul Biya lors de leur
entretien à l'occasion du sommet de la francophonie à Kinshasa.
H.M - Je souhaite ardemment que
ces deux grandes nations accroissent le soutien qu'elles apportent à mon pays.
Le Cameroun a besoin de développer massivement ses infrastructures, d'accroître
ses capacités de production industrielle et agricole, et tout ceci en préservant
son environnement.
Tout cet effort ne peut être supporté par la
seule coopération sino-camerounaise! Les États-Unis, la France, l'Allemagne, le
Japon et bien d'autres pays peuvent développer avec le Cameroun des
partenariats profitables. Y compris sur les droits de l'homme, thème largement
évoqué lors du sommet de la Francophonie organisé à Kinshasa en octobre 2012.
Pour mon cas personnel, je ne demanderai jamais à
une puissance étrangère d’intervenir dans une lutte qui ne peut et ne doit être
menée que de l’intérieur.
Oui à une coopération ouverte bénéfique à notre
pays, non à une pression de l’étranger dans des questions et des processus
intérieurs.
SlateAfrique
- Demandez-vous aux juges d'enquêter sur les récentes
révélations sorties dans la presse camerounaise concernant un éventuel
enrichissement frauduleux de Franck Biya grâce à des opérations sur des
Obligations du Trésor camerounais?
H.M - Je suis consterné par
cette histoire. Je dois dire que rien, dans le souvenir que je garde de
certains protagonistes de cette affaire, ne me permet de penser qu'ils aient pu
commettre cela.
Ce que ces révélations m’évoque, c’est la pensée
de Cicéron : « Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux.
Mais elle ne peut survivre à la trahison venant de l’intérieur. "
L'enjeu de cette affaire justifie en lui-même une
enquête. La vérité sur l’existence ou non d’une trahison de l’intérieur sera
très simple à établir, les Camerounais méritent de la connaitre.
SlateAfrique
- Quelles sont vos conditions de vie en prison?
H.M - Reposez-moi la question
dans 24 ans. Peut-être, alors, me préoccuperai-je de mes conditions de
détention au regard des droits de l'homme. Mais d'ici là, je me battrai non pas
sur les conditions, mais sur le principe même de ma détention.
Se préoccuper de mes conditions de détention,
sans se poser la question du fondement même de mon incarcération, ceci au nom
de la force de la chose jugée, de la soi-disant « complexité de l'affaire », ou
encore du « pas de fumée sans feu », c'est une façon de se donner bonne
conscience, et de se laver les mains de cette affaire qui engage, au-delà de
moi, l'avenir de mon pays. Le premier des droits de l'homme, c'est le droit à
une justice équitable, c'est la liberté pour l'innocent, et non pas le droit à
une cellule confortable!
Propos recueillis par Assane Diop
Entretien exclusif avec Hamidou Yaya Marafa,
ancien ministre de l’Intérieur et ex-secrétaire général de la Présidence
Camerounaise, condamné le 22 septembre 2012 à 25 ans de prison ferme pour complicité
de détournement de fonds destiné à l’achat d’un avion présidentiel.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
En ce début 2013, le président camerounais Paul Biya entame la deuxième année de son « programme de grandes ambitions » lancé à l’occasion de sa troisième réélection pour, censément, réaliser la promesse de hisser le Cameroun au rang de pays émergent.
De nombreux Camerounais sont sceptiques quant aux chances de succès de ce défi, présenté par Paul Biya comme une « marche de longue haleine vers la prospérité » mais assimilé par ses adversaires à « une course contre la montre ».
Paul Biya a récemment fêté ses 30 ans d’exercice continu du pouvoir et célèbrera en février prochain son 80e anniversaire. Quel bilan, ou au moins, quel inventaire rapide tirer de « l’ère Biya » ? Le pouvoir serait bien en peine de vanter ses « grandes réalisations » puisqu’il en est encore au stade des « grandes ambitions ». Il insiste donc sur l’efficacité de son action pour assurer la « stabilité » du pays. Il est vrai qu’en dehors, de la tentative de coup d’état du 6 avril 1984 et des émeutes qui ont secoué Douala en mars et avril 1991, puis en 2008, il n’y a pas eu de secousses majeures. Mais sur le front économique et social, le pays s’est davantage enlisé que stabilisé, et a fortiori redressé.
Mais ces alertes ont traumatisé durablement le
pouvoir, le poussant de plus en plus à se refermer et à ne se préoccuper que de
sa seule survie. Cette logique, dont la suppression en 2007 de l’article
constitutionnel fixant à deux le nombre maximum de mandats présidentiels est un
exemple frappant, a eu un coût considérable sur le front économique et social,
marqué par un véritable enlisement, voire une régression.
La longévité au pouvoir n’est ni une bonne ni une
mauvaise chose en soi. Mais, indubitablement, dans le cas de Paul Biya elle se
conjugue avec l’usure, l’immobilisme et la hantise du complot.
Sur la scène politique camerounaise, « parler
d’alternance revient presque à proférer un tabou, à afficher une rivalité ou à
passer pour un dangereux subversif » déplore sous le sceau de l’anonymat un
journaliste pourtant proche du RDPC, le parti présidentiel.
Les nombreux « détenus politiques » de la prison
centrale de Yaoundé peuvent en témoigner. Après avoir appartenu aux plus hautes
sphères du pouvoir, ils ont connu une chute brutale, conséquence dans la
majorité des cas, non de fautes ou manquements avérés, mais de « rivalités
chroniques dans le premier cercle des collaborateurs officieux ou officiels du
chef d’Etat ».
« Ces personnes ne sont visées par aucun
règlement de comptes politiques. Elles ont été arrêtées, jugées et condamnées
pour des crimes économiques », s’est toujours défendu le pouvoir. Il est vrai
qu’en 2004 la lutte contre la corruption a été érigée en programme national
baptisé « opération Epervier » sous la pression des bailleurs de fonds du
Cameroun, qui figurait parmi les pays les plus corrompus du monde ».
Hamidou Yaya Marafa estime que ce mécanisme
anti-corruption a été « dévoyé et servi de machine de guerre politique au
régime de Paul Biya », comme il l’explique dans cette interview exclusive que
nous avons réussi à mener malgré sa détention à la prison centrale de Yaoundé.
Régulièrement, l’ancien secrétaire général de la
présidence de la république camerounaise publie des lettres ouvertes à
caractère politique largement relayées par la presse privée camerounaise.
Slate Afrique - Le
verdict remonte au samedi 22 septembre dernier. Vous avez été condamné à 25 ans
de prison pour un délit que vous avez toujours nié avoir commis. Dans quel état
d'esprit êtes-vous?
Hamidou Yaya Marafa - D’abord,
je me sens serein et la conscience tranquille. Je sais que je suis innocent,
mais le tribunal le sait aussi et l’a reconnu. Lisez le verdict, vous n'y trouverez
aucune trace de détournement de fonds ou de recel. Aucune tâche sur mon honneur
et ma probité.
Ensuite, et surtout, je reste déterminé à mener
le combat. Pas un combat personnel entre deux individus qui seraient l'actuel
Chef de l'Etat et moi.
Non, la lutte, décisive, est pour que la justice
reste ou redevienne garante de notre liberté à tous et ne soit plus mise à la
botte du régime actuel.
Il en va de l'avenir de notre pays. Je reçois de
mes compatriotes, un soutien qui se renforce depuis ma condamnation.
L’espoir qu’ils placent en moi me donne la force
et soustrait du temps immobile de la prison. Je suis tourné vers les
changements qui doivent et qui vont advenir.
SlateAfrique - Mais si personne,
pas même le tribunal, ne vous croit coupable, pour quoi avez-vous été condamné?
H.M-Tout ce qu’il a trouvé pour
me condamner est un fait de complicité "intellectuelle". Pour cela,
il s’est fondé uniquement sur ma relation amicale avec un des coaccusés au
moment des faits.
J’assume cette amitié transformée en charge, mais
elle ne rend coupable d’aucun crime ni délit.
SlateAfrique
- On vous soupçonne de vous être enrichi illégalement au pouvoir. Etes-vous un
homme riche?
H.M- Par rapport à la moyenne de
nos compatriotes, oui. Je suis un homme riche puisque mes revenus sont
supérieurs à mes dépenses. Je ne mène aucune vie ostentatoire. Une attitude qui
s’impose à toute ma famille. Nos dépenses sont conformes à nos besoins. Je
déplore que ce ne soit malheureusement pas le cas de beaucoup de Camerounais.
Par rapport à mes camarades qui ont choisi le
privé, comparaison que j’ai eu évidemment souvent l’occasion de faire,
clairement non. Et c’est bien ainsi.
Mon patrimoine est connu. Je l’ai acquis, et il
est aisé de le vérifier, en ayant essentiellement recours à des prêts
bancaires, que j’ai remboursés grâce à mon traitement de ministre et à mes
jetons de présence comme président du conseil d'administration de sociétés
publiques.
SlateAfrique -
Revenons sur l'affaire de l'avion présidentiel « l’affaire albatros ». Vous ne
vous reconnaissez donc aucune responsabilité dans ce dossier?
H.M- Non, aucune. J’ai déjà dit
que le tribunal ne m’a trouvé coupable d’aucune malversation. Permettez-moi
d’être plus détaillé, et de vous dire quelles ont été ses réponses aux
questions essentielles suivantes: ai-je pris l'initiative de commander cet
avion? Non. Ai-je pris la décision, ou ai-je été informé préalablement de la
décision, de virer 31 millions de dollars à la société retenue au lieu
d'émettre une lettre de crédit comme c'était prévu ? Non.
Ai-je pris l'initiative ou ai-je décidé de
commander un autre avion que celui initialement prévu? Non. Ai-je participé de
près ou de loin à l'accord par lequel l'État du Cameroun et le vendeur se sont
entendus pour solder cette affaire, et par lequel les deux parties renonçaient
à toutes poursuites ultérieures? Non.
Enfin, y a-t-il trace d'une somme d'argent que
j'aurais reçue dans le cadre de ce dossier? Non.
Vous voulez mesurer à quel point les accusations
portées contre moi sont grotesques ? Un mois à peine après ma condamnation, mon
successeur au Secrétariat Général à la Présidence de la République, a été
condamné, et pourquoi? Pour avoir tenté de détourner ces mêmes 31 millions de
dollars qui sont censés déjà avoir été dérobés!
SlateAfrique -
En voulez-vous aux juges ou aux puissants qui vous ont succédé?
H.M- Je ne peux pas en vouloir
aux magistrats. Les juges étaient sous la pression du régime, ils ont cédé.
Comment exiger d’eux un courage dont nous-mêmes, nous ne faisons pas toujours
preuve ?
Quant aux autres, ni pardon ni blâme. Chacun est
libre de se déshonorer mais doit en porter la responsabilité. Un proverbe dit :
« Le sot ne pardonne rien et n'oublie rien, le naïf oublie et pardonne, le sage
pardonne, mais n'oublie pas.» Je fais le choix de la sagesse.
SlateAfrique
-Vous dites « sage », c’est- à-dire dépassionné, mais à la sortie du tribunal
vous vous êtes déclaré :" déçu, mais pas vaincu". N’était-ce pas du
ressentiment?
H.M- Nullement ! Je me souviens
de ce spectacle pathétique donné par le principal témoin de l'accusation, un
ancien ministre des finances, transpirant de peur, car il avait pour
instruction de m’accabler et que, malgré ses efforts pour tordre la vérité, il
ne pouvait que me disculper des principales charges contre moi.
D’ailleurs, cette condamnation n'est pas une
défaite pour moi, mais l’échec d’une volonté du pouvoir de me mettre à mort
politiquement. Ils en sont réduits à des expédients pour assurer leur fragile
survie politique. La peur est de leur côté. Pas du mien.
Je n’exagère pas en disant que moralement,
émotionnellement et intellectuellement, je suis en pleine forme. Ne donnez
aucun crédit aux ragots qui me disent déprimé et suicidaire.
SlateAfrique
- Craignez-vous pour votre vie?
H.M- Je ne suis pas craintif de
nature, mes lettres ouvertes l'ont démontré. Cependant, je sais que ma vie est
menacée. Depuis 5 ans certains ont programmé mon élimination physique immédiate
en cas de vacance du pouvoir. D'autres demandent ma déportation à la prison de
Yoko, ce qui vaut aussi condamnation à mort, mais à petit feu.
SlateAfrique - Depuis 5 ans, dites-vous. À quoi correspond
cette date ? Qui sont ces gens qui vous en veulent à ce point?
H.M- La date correspond au
lendemain des élections législatives de 2007. À ce moment, certains hommes
politiques ont commencé à se projeter, légitimement, dans l'après-Biya.
D’autres, tapis dans l'ombre, les ont vus comme des adversaires dangereux. Je
les inquiétais particulièrement. Il fallait se débarrasser de moi.
« Vous voulez savoir ce que vos ennemis ont à se
reprocher ? Voyez de quoi ils vous accusent pour vous salir, » dit le proverbe.
Dans un premier temps, ces campagnes n'ont
affecté en rien la confiance que me témoignait le Chef de l'Etat. Mes
accusateurs de l’ombre ont inventé alors, une variété de scenarios absurdes:
j'avais levé une force armée prête à fondre sur la capitale, ou par ambition
personnelle j'avais décidé de me présenter contre le Président en 2011, ou
j'étais le pion des États-Unis et de la France qui avaient décidé de l'écarter
du pouvoir.
Tout cela veut dire trois choses: d’abord,
évidemment, mon procès est politique. Ensuite, il a commencé dès 2008, au
lendemain de la modification de la constitution ouvrant la voie à une nouvelle
candidature du Président Biya, car il a fallu préparer l'opinion publique à ma
condamnation. Enfin, c’est le jour de mon arrestation, le 16 avril 2012, que le
verdict a véritablement été rendu. Ce qui a suivi n’était que pour la forme.
SlateAfrique -Si vous pressentiez tout cela, pourquoi ne
pas avoir démissionné, voire quitté le pays, avant votre arrestation?
H.M- Certains responsables, à
des niveaux insoupçonnés, m'avaient proposé de me faire quitter le pays.
D’ailleurs, je m'interroge encore sur la sincérité de leur démarche. Mais j'ai
fait le choix de rester car je voulais m'expliquer devant la justice sur cette
affaire complexe qui mettait en cause mon honneur.
SlateAfrique
- Quelles étaient vos relations avec Paul Biya?
H.M- C'est un homme mystérieux.
De mon point de vue, nos relations ont toujours été bonnes : confiantes,
franches, mais limitées à la sphère professionnelle. Il m'a confié de très
importantes responsabilités et fonctions auxquelles je n'ai objectivement
jamais failli.
SlateAfrique
- Comment expliquez-vous son revirement à votre égard?
H.M- Je ne cherche pas
d'explications. Mon regard se porte vers l'avenir, et, dans cette perspective,
je ne pense pas à lui. Ma seule crainte pour mon pays est que le Chef de l'État
ne soit pousser à prendre des décisions de plus en plus mauvaises pour le bien
commun, et mon affaire en est une illustration. Un jour sûrement ils finiront
par se débarrasser de lui.
SlateAfrique -
Vos propos semblent dégager le Président Biya de toute responsabilité
dans la gestion des affaires du pays, et dans la vôtre en particulier. Ce
serait surprenant.
H.M - Non, pas du tout, je ne
l’exonère pas. Seulement, alors que tout le monde s'accorde pour reconnaître en
lui un habile politicien, il pose désormais des actes qui ne lui ressemblent
guère, et qui créent notre pays dans une situation de tension sans précédent
depuis 1984. Il ne semble donc pas avoir les mains libres. Ce qui est déjà une
faute extrêmement grave, il est vrai.
SlateAfrique
- Le Cameroun vient de fêter le trentième anniversaire de
l'accession au pouvoir de Paul Biya. Quel regard portez-vous sur cette période?
H.M - Il vous suffit de lire la
presse locale et internationale pour constater qu'elle est assez unanime pour
parler d'échec.
Pour ma part, je parlerai plutôt d'erreurs: à
chaque fois, au cours de ces 30 ans, que Paul Biya a eu à choisir entre la
modernisation politique et économique de notre pays, avec les risques de
perturbations inhérents à cette démarche, et l'immobilisme garant, selon lui,
de la paix civile, il a choisi l'immobilisme. C’est ce qui fait que nous avons
aujourd'hui un pays au bord de conflits sociaux et politiques sans précédent.
SlateAfrique
- Que représente aujourd'hui Paul Biya pour le Cameroun et pour vous?
H.M- Paul Biya a été le symbole
d'une transition politique pacifique en 1982. Aujourd'hui, on attend qu'il en
soit le garant.
SlateAfrique -
Que voulez-vous dire? Souhaitez-vous qu'il se démette de ses fonctions comme le
président Ahidjo?
H.M- Libre à lui de le faire.
Mais là n'est pas mon propos. Le monde a changé depuis 1982, il n'appartient
pas au Président de la République de désigner son successeur. En 1982, peu de
gens connaissaient l’actuel Président, mais les Camerounais étaient si heureux
et fiers de cette transition pacifique que tous, moi le premier, lui ont
apporté leur soutien. Aujourd'hui, nous attendons avant tout de lui qu'il mette
en place les institutions politiques qui assureront une succession pacifique et
démocratique lorsqu'il quittera le pouvoir. Or, rien n'est en place, ce qui
expose notre pays à de multiples dangers.
SlateAfrique
- Croyez-vous à un risque de guerre civile dans votre pays, où
les tensions ethniques sont grandes?
H.M - Non, ce risque est faible.
Cependant, certains pompiers pyromanes agitent le spectre d'une guerre
ethnique, comme au Rwanda, tout en créant dans l’ombre une situation propice à
une prise ou un maintien du pouvoir dans les mains d'une même clique. De fait,
ils sont les maux dont ils prétendent être le remède.
Je sais que notre unité nationale est encore
fragile. Depuis la fin de la guerre froide, en Afrique comme ailleurs, on
constate des replis identitaires sur des bases non seulement ethniques, mais
aussi religieuses, linguistiques et culturelles, générationnelles, et selon le
clivage mon rural/monde urbain.
Ces lignes de rupture potentielle peuvent en
effet menacer le pacte républicain, mais cela ne peut en aucun cas justifier
l'immobilisme politique et économique. Au contraire, le meilleur remède contre
le risque de guerre civile, c'est l'initiative et l'action.
Slate Afrique
- Pourtant le gouvernement vient de lancer un programme de grandes
réalisations. N’est ce pas une forme d’action?
H.M- Soyons sérieux un moment.
Qui peut croire à la construction d'une nouvelle raffinerie à Kribi, ou à la
construction d'une voiture « made in Cameroun » en 2013? C’est une politique de
grandes illusions, pas de grandes réalisations. Ces projets sans aucune
pertinence économique ne trouveront pas d'investisseurs, et ils ne servent qu'à
masquer une incapacité à mener à bien les vrais projets importants tels que le
Pont sur le fleuve Wourri. Les populations et les opérateurs économiques
l’attendent depuis plus 20 ans. Que le gouvernement crée déjà les 25 000
emplois jeunes promis par l'actuel chef de l'Etat, qu'il mette fin aux pénuries
d'eau et d'électricité, et il gagnera en crédibilité !
SlateAfrique - Mais, vous avez vous-même exercé de hautes
fonctions au gouvernement. Vous sentez-vous une part de responsabilité dans cet
échec?
H.M - Je vais répondre à votre
question par des questions. Suis-je fier d'avoir sauvé l'organisation des
élections législatives et municipales de 2002 dont l'impréparation nous menait
droit aux émeutes? Suis-je fier d'avoir oeuvré pour une amélioration sensible
du processus électoral vers plus de transparence? Suis-je fier d'avoir amorcé,
en dépit de toutes les entraves et résistances, le processus de
décentralisation indispensable à la modernisation de notre pays? Ai-je avec
insistance attiré l'attention du chef de l'Etat sur la nécessité d'engager des
réformes institutionnelles et économiques? Mais je ne veux pas revenir sur le
passé. Seul importe l'avenir, et pour le construire, mon expérience peut
utilement servir mon pays.
Slate Afrique -
Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, remettre votre pays sur le chemin
de la croissance?
H.M- Le projet dont je suis
porteur est fondé sur l’idée d'une société de confiance. Confiance en soi que
la nation doit retrouver, et confiance des citoyens entre eux. Sans cette
confiance, la reconstruction de notre pays sera impossible.
Slate Afrique
- Pourquoi parler de reconstruction? N’est-ce pas excessif?
H.M- Non. Il s'agit de cela et
de rien de moins que cela. Depuis 25 ans, les investissements, exception faite
du secteur des mines et de l'énergie, sont en chute libre. L'accès à l'eau, à
l'électricité, aux soins médicaux est de plus en plus difficile.
L'environnement naturel a dans certaines régions été saccagé, dans d'autres la
pollution augmente dangereusement. Tout cela dans un contexte où la corruption
ne cesse de progresser. Mais le préalable à cette reconstruction, j’insiste sur
cette dimension qui peut sembler abstraite mais qui ne l‘est pas du tout, c'est
que nous retrouvions confiance en nous. Or, aujourd'hui, c'est le règne de la
méfiance. On se méfie du voisin qui n’est pas de son ethnie, on se méfie du
douanier, du policier, de l’inspecteur des impôts, de l'examinateur, du
médecin, de la presse, des résultats des élections, de la presse, de la
justice, de l’Etat. Reconstruire la confiance pour reconstruire le pays, voilà
la route que doit prendre le Cameroun.
SlateAfrique -
Ce projet politique, comment comptez-vous le conduire? Comment envisagez-vous
la suite?
H.M - Nous avons entrepris avec
mes avocats de faire appel du jugement. Nous avons la volonté d'épuiser tous
les recours de droit. Cependant, je ne me laisserai pas enfermer dans la sphère
judiciaire. Elle est secondaire par rapport au combat politique, que je
poursuivrai sans relâche.
SlateAfrique
- Continuerez-vous à publier vos lettres?
H.M - Pensez-vous que je
prendrais une position si forte pour finir par dire, piteusement, à mes
adversaires :"Si vous cessez de dire des mensonges sur moi, eh bien, je
m'abstiendrai de dire la vérité sur vous. »
Je ne crains rien. Même si les coups sont rudes.
Je continuerai à publier mes lettres. Les suivantes sont prêtes. Elles ne
viseront pas à détruire, mais à reconstruire. Chacun des thèmes qu'elles
abordent vise à servir le débat politique.
SlateAfrique
- Comptez-vous sur le soutien la France et des Etats-Unis,
deux pays avec lesquels, dit-on, vous entretenez de bonnes relations? Il semble
que François Hollande n'ait pas évoqué votre cas avec Paul Biya lors de leur
entretien à l'occasion du sommet de la francophonie à Kinshasa.
H.M - Je souhaite ardemment que
ces deux grandes nations accroissent le soutien qu'elles apportent à mon pays.
Le Cameroun a besoin de développer massivement ses infrastructures, d'accroître
ses capacités de production industrielle et agricole, et tout ceci en
préservant son environnement.
Tout cet effort ne peut être supporté par la
seule coopération sino-camerounaise! Les États-Unis, la France, l'Allemagne, le
Japon et bien d'autres pays peuvent développer avec le Cameroun des
partenariats profitables. Y compris sur les droits de l'homme, thème largement
évoqué lors du sommet de la Francophonie organisé à Kinshasa en octobre 2012.
Pour mon cas personnel, je ne demanderai jamais à
une puissance étrangère d’intervenir dans une lutte qui ne peut et ne doit être
menée que de l’intérieur.
Oui à une coopération ouverte bénéfique à notre
pays, non à une pression de l’étranger dans des questions et des processus
intérieurs.
SlateAfrique
- Demandez-vous aux juges d'enquêter sur les récentes
révélations sorties dans la presse camerounaise concernant un éventuel
enrichissement frauduleux de Franck Biya grâce à des opérations sur des
Obligations du Trésor camerounais?
H.M - Je suis consterné par
cette histoire. Je dois dire que rien, dans le souvenir que je garde de
certains protagonistes de cette affaire, ne me permet de penser qu'ils aient pu
commettre cela.
Ce que ces révélations m’évoque, c’est la pensée
de Cicéron : « Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux.
Mais elle ne peut survivre à la trahison venant de l’intérieur. "
L'enjeu de cette affaire justifie en lui-même une
enquête. La vérité sur l’existence ou non d’une trahison de l’intérieur sera
très simple à établir, les Camerounais méritent de la connaitre.
SlateAfrique
- Quelles sont vos conditions de vie en prison?
H.M - Reposez-moi la question
dans 24 ans. Peut-être, alors, me préoccuperai-je de mes conditions de
détention au regard des droits de l'homme. Mais d'ici là, je me battrai non pas
sur les conditions, mais sur le principe même de ma détention.
Se préoccuper de mes conditions de détention,
sans se poser la question du fondement même de mon incarcération, ceci au nom
de la force de la chose jugée, de la soi-disant « complexité de l'affaire », ou
encore du « pas de fumée sans feu », c'est une façon de se donner bonne
conscience, et de se laver les mains de cette affaire qui engage, au-delà de
moi, l'avenir de mon pays. Le premier des droits de l'homme, c'est le droit à
une justice équitable, c'est la liberté pour l'innocent, et non pas le droit à
une cellule confortable!
Propos recueillis par Assane Diop
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When News Breaks Out, We Break In. Minute by Minute Report on Cameroon and Africa
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